L’occupation de Belspo, décidée dans la foulée des décisions du gouvernement concernant le rabotage des politiques scientifiques et culturelles fédérales, s’est déroulée le 15 décembre 2014, jour de grève générale en front commun syndical. Environ 300 personnes ont participé à cette occupation courte et hautement symbolique, en soutien à une structure destinée « à disparaître, en tout ou en partie, et avec lui ses emplois, ses travailleurs, son intelligence ». Le slogan du jour était affiché au-dessus des portes d’entrée de ce grand immeuble de l’avenue Louise : « Entrez, c’est occupé ». Le bâtiment, où certains employés travaillaient malgré la grève, avait été assez aisé à investir. Une dizaine d’Actrices et d’Acteurs des Temps Présents étaient arrivés à l’heure de la livraison des sandwichs…
Bien sûr, l’occupation a permis la prise de parole des Acteurs et Actrices des Temps Présents, bien entendu, (Paul Hermant), des syndicats (Najar Lahouari-FGTB), Felipe van Keirsbilck-CNE, et Olivier Valentin-CGSLB, de la Fugea (Philippe Duvivier), du Réseau Wallon de Lutte contre la pauvreté (Christine Mahy) et bien évidemment, de Philippe Mettens, directeur en sursis de Belspo. Parmi les artistes présents : le chanteur Daniel Hélin, l’accordéoniste Pirly Zurstrassen et le clarinettiste Julien Delbrouck du Tric Trac Trio ainsi que Jean-Paul Dessy.
Un débat (coordonné par David Lallemand) entre Philippe Mettens, Christine Mahy (RWLP) Najar Lahouari et Jean-Paul Dessy s’est tenu autour du rabotage des politiques scientifiques et culturelles mis en place par la ministre Elke Sleurs(N-VA).
Ce jour-là, c’est à noter, deux nouveaux groupements ont pris la parole pour la première fois en public : Tout Autre Chose et Ecole en Colère.
Vers 19 heures, l’occupation a été levée…
Quelques semaines plus tard, Philippe Mettens était licencié et le bras de fer entre le gouvernement Michel, l’ancien directeur et le Conseil d’Etat allait connaître plusieurs épisodes, dont la réintégration de Philippe Mettens finalement décidée par les Conseil d’Etat juste avant que le gouvernement ne mette un point final à l’histoire de Bespo en novembre 2016…
Intervention introductive des Acteurs et Actrices,
15 décembre 2015
Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ?
Pourquoi sommes-nous ici à occuper le siège de Belspo, c’est-à-dire de la politique scientifique belge, c’est-à-dire aussi la coupole des établissements scientifiques fédéraux ?
La réponse est simple : nous sommes ici pour nous mêler des affaires des autres.
Nous sommes ici pour dire et pour montrer que les frontières entre les différents secteurs ont fini d’exister et que les particularismes, les corporatismes, les plate-bandes ou les Tours de Babel ne sont plus de saison dans un temps où il n’y a plus de saisons.
Enfin, quand je dis qu’il n’y a plus de saisons, c’est surtout que la saison est toujours la même. Et que cette saison pourrait s’appeler « TINA », There is no alternative, il n’y a pas d’alternative : c’est comme ça, parce qu’on a toujours fait comme ça et qu’on fera toujours comme ça. Il n’y a pas d’autre solution que l’éternelle répétition du même. Ce même épuisement, ce même appauvrissement, ce même austoritarisme.
Devant cette doxa toujours recommencée mais toujours augmentée, toujours accumulée, où les appauvrissements ne visent pas que nos capacités budgétaires ou nos solidarités sociales mais aussi nos facultés intellectuelles ou culturelles, nous avons cette chose simple à faire : nous mêler des affaires des autres, c’est à dire nous mêler des affaires des nôtres.
Ce matin, dans la région liégeoise, les Acteurs des temps Présents, renforcés par celles et ceux que l’on appelle les allocataires sociaux sont allés renforcer à leur tour les piquets syndicaux devant les usines, devant les zonings, devant les grandes surfaces.
C’est-à-dire que le « sans travail » a été soutenir « l’encore à l’emploi » et est venu apporter la seule réponse efficace à ceux qui devant ces piquets défendent le droit au travail devant le droit de grève. « Laissez-nous travailler » disent ceux-là. Hé bien, les allocataires sociaux leur ont répondu la même chose : « Laissez-nous travailler ».
Ce renversement de perspective, c’est ce que nous voyons naître et se produire aujourd’hui tant ici avec les Acteurs des Temps présents qu’ailleurs ou ici encore avec Hart boven Hard ou Tout autre Chose.
Ici, dans ce lieu, se mêlent aujourd’hui des gens de culture, des syndicalistes, des agriculteurs, des allocataires sociaux, des acteurs associatifs, des citoyens tout simplement, des gens de science aussi sans doute.
Venir donc à Belspo. Investir Belspo. Occuper Belspo. Parce que bien entendu Belspo est emblématique de ce plan de restriction budgétaire qu’a lancé le mois dernier le gouvernement fédéral. Ici, nous sommes dans un lieu destiné à disparaître, en tout ou en partie, et avec lui ses emplois, ses travailleurs, son intelligence. Belspo, c’est le réceptacle d’activités et d’Institutions essentielles, comme la politique spatiale belge, le soutien au secteur aéronautique, des programmes de recherche, une station de recherche en Antarctique, un navire océanographique (le Belgica), des Etablissements scientifiques et culturels.
Belspo est aussi la seule structure qui permet de combiner les expertises néerlandophones, francophones et germanophones en matière de recherche fondamentale. Les services de BELSPO soutiennent ainsi les activités de recherche fondamentale au sein des 10 Etablissements scientifiques fédéraux (IRM, Observatoire, Archives du royaume, Bibliothèque, Musées royaux des Beaux-arts…) mais aussi des Universités des 3 Communautés du pays et de la plupart des Centres de recherche belges.
C’est dire si en venant à Belspo, en investissant Belspo, en occupant Belspo, nous sommes au cœur du problème que posent à chaque citoyen les politiques gouvernementales.
Car nous sommes aussi ici pour nous inquiéter et pour pointer un fait bien simple : c’est qu’en coupant les vivres aux archives, comme cela se passe envers la Bibliothèque Nationale, la KBR, ou avec le Ceges, le Centre d’Etudes et de documentation Guerre Et Sociétés Contemporaines, c’est bien entendu à la mémoire que l’on s’attaque, tandis qu’en proposant un régime drastique ou mortifère à la recherche comme cela se passe ici bien sûr mais aussi au Musée des Sciences naturelles ou encore au Ceges, par exemple, c’est à l’avenir que l’on s’en prend.
Et ce qui est surtout inquiétant, c’est que cela indique bien le point de vue d’où aujourd’hui le gouvernement — on peut mettre un s — regarde le monde : il le regarde effectivement aujourd’hui, c’est à dire à partir d’aujourd’hui, comme si cet aujourd’hui devait durer toujours. Comme si ainsi que je le disais plus haut, il n’y a pas d’alternative à l’éternelle reproduction du même. Souhaiter vivre dans un présent toujours recommencé qui remplacerait un passé non dépassé et un avenir non désiré, ce n’est pas seulement s’assurer de l’immobilisme, c’est surtout se permettre d’occulter tout ce qui peut advenir, c’est l’empêcher à l’avance, c’est le décréter nul et non avenu. Nul et non à avenir.
Mentalement, c’est évidemment intenable et c’est pourtant dans ce mentalement intenable que l’on nous invite désormais à vivre. C’est évidemment impossible sur un plan intellectuel. C’est évidemment mortifère sur un plan social. C’est évidemment suicidaire sur un plan politique.
Mais l’ultralibéralisme ne peut vivre que dans l’aujourd’hui. Les matières premières de la planète par exemple, il les considère comme un énorme aujourd’hui. Car l’idée de vivre dans un aujourd’hui toujours recommencé permet d’exploiter des ressources censées toujours être disponibles. Et d’en être le prédateur et l’exploitant décomplexé.
Les musées aussi sont visés par cette prédation décomplexée. Le Théâtre de la Monnaie, lui-même, qui est tout de même un lieu d’histoire manifeste, vient se cogner la tête contre ce présent qui revient tous les jours.
Nous sommes donc là pour dire cela. Mais aussi pour montrer que de même que dans le secteur culturel, mais de même aussi que dans le secteur du nettoyage ou des titres-services, la recherche scientifique est aussi un secteur de précariat. Nous sommes, avec la recherche scientifique, dans un monde de contrats temporaires et des temps coupés, exactement comme dans le secteur de l’alimentation ou bien dans l’Horeca. Celles et ceux qui penseraient qu’il y a une exception scientifique, par exemple, parce que le professeur Englert a obtenu un Prix Nobel se tromperaient lourdement.
Nous sommes entre gens de petites sommes, de petits budgets, de petits contrats. Mais nous ne sommes pas entre petites gens.
Nous, nous sommes déterminés à ne pas participer à titre collectif à la domination de nos semblables ou à l’exploitation du bien commun de nos semblables et ne cherchons pas davantage à y participer à titre individuel.
Nous venons dire ici cette détermination. Nous nous mêlons des affaires des autres. Il n’y a plus de pré carré, plus de domaine réservé. Il n’y a que du bien public et du combat commun.