Le dimanche 16 avril dernier se tenait à Liège la marche annuelle contre le centre fermé de Vottem, opérationnel depuis 1999. Nous étions plusieurs centaines à nous être mis en route de la place Saint-Lambert vers les hauteurs de la ville, avec une halte à l’Enclos des Fusillés, haut lieu de la mémoire pour la Résistance au fascisme et au nazisme. De vigoureuses percussions scandaient les revendications au gueulophone en faveur d’un accueil digne et de la régularisation des sans-papiers.
Les Actrices et Acteurs des Temps Présents avaient été invités à prendre la parole, en compagnie de plusieurs associations, dont le CRACPE, la Voix des Sans Papiers de Liège ou la Ligue des Droits humains. Nous ne voulons pas de la misère. Nous voulons faire Pays dans le Pays. Telle est la substance du discours que nous avons tenu.
La rengaine est connue. Elle a les qualités d’une berceuse, ou bien d’une couverture chaude et moelleuse, qui nous permet de nous calfeutrer dans une bonne conscience innocente. Et pourtant, si nous la soulevons, cette couverture, et que nous regardons autour de nous, nous nous apercevons que ceux-là même qui nous disent
On ne peut pas accueillir toute la misère du monde
nous nous apercevons que ceux-là, en réalité, débordent de largesses pour l’accueillir, cette misère, mais à leur convenance, selon les exigences du grand marché mondial. Ils accueillent la misère qui se dépose jour après jour sur des vêtements de grandes marques confectionnés au Bangladesh dans des conditions sordides ; sur le matériel informatique fabriqué en Inde par des ouvrières et des ouvriers qui n’ont droit à aucune protection sociale ou syndicale ; une misère encrassée de poussière africaine et de sang séché qui s’infiltre dans le moindre composant de nos téléphones portables, de nos écrans ou nos batteries.
Oui, en réalité, c’est avec plaisir qu’ils accueillent cette misère. Et c’est à partir de cette misère qu’ils nous invitent à jouir, je ne dirai pas de notre richesse mais de notre capacité à consommer, par exemple en achetant chaque année une nouvelle couverture, plus douce, plus moelleuse, plus chaude encore que la précédente. Ils savent que cette misère, en nous offrant un certain confort, leur garantit la paix sociale.
Et si nous soulevons cette nouvelle couverture et que nous regardons ce qui se passe autour de nous, nous nous apercevons qu’en réalité ceux-là qui nous disent, par la voix de leurs ministres ou de leur secrétaire d’État affectés à la gestion du rejet des personnes étrangères, oui, ces mêmes voix puissantes qui nous disent
On ne peut pas accueillir toute la misère du monde
sont en réalité les voix de grands et généreux bienfaiteurs. Bienfaiteurs qui non seulement accueillent la misère sans trop se soucier des taches de sang, de sueur, de poussières, de glaires noires crachées par des poumons en feu qui s’incrustent dans tous ces produits désirables dont nos magasins débordent, mais qui se montrent aussi très généreux à l’égard de ceux qui travaillent à la reproduction de cette misère, puissances d’argent aux mille tentacules, presque entièrement dispensées de payer des impôts chez nous, grâce aux largesses fiscales dont elles bénéficient.
Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde
On entend cette rengaine à droite et à gauche. Occupons-nous plutôt, occupons-nous d’abord de la misère qui se développe chez nous. Ne voyez-vous pas que notre capacité à consommer est en péril ? Dans cette capacité à consommer, c’est un peu de notre identité qui est menacée. La faute à qui ? Nous savons qu’à droite, on désigne comme responsable l’étranger et qu’à gauche, malheureusement, pour ne pas laisser la place à l’extrême-droite, on va de concession en concession.
En réalité, nous ne voulons vraiment pas de cette misère, nous refusons toute la misère du monde, et nous nous engageons pour nous efforcer de la réduire, ici comme ailleurs, car les combats sont liés, au Nord comme au Sud. Puisque ce sont les mêmes causes qui provoquent les mêmes effets de misère, c’est une grave erreur, ce serait une profonde faute politique que de les opposer l’une à l’autre.
Ce que nous voulons accueillir, ce n’est pas la misère, mais des hommes, des femmes, des adolescent qui frappent à notre porte, des personnes sans doute fragilisées par leurs difficiles conditions d’existence et par des écarts culturels qui ébranlent leurs certitudes autant que les nôtres, mais qui surtout ont été portées jusqu’ici par un espoir, un élan, un courage qui forcent le respect. Des humains venus de loin qui pourraient, avec nous, si on leur en laisse la possibilité, contribuer à construire ici un pays qui nous ressemble davantage.
Et puisqu’un discours militant se doit d’être rassembleur, je vous proposerai pour finir une petite comptine, une rengaine de quatre sous, qu’on pourrait reprendre en cœur et qui dirait :
Oui à l’ouverture,
L’ouverture c’est l’aventure
Y a de la place sous nos couvertures.