Photo de Bernard Boccara
Nous savions que la pauvreté gagnait du terrain. Nous nous rendions compte, en marchant dans les villes, que les hommes et les femmes sans domicile étaient de plus en plus nombreux. Nous connaissions quantité de gens contraints d’accepter un emploi précaire, un boulot plus ou moins clandestin, pour un salaire de misère et dans des conditions de merde, et nous redoutions qu’un jour ce soit notre tour.
Nous savions cela, et pourtant nous n’aurions pas imaginé voir se former de sitôt dans nos rues des files d’attente pour la distribution de colis alimentaires. Pas dans un pays comme la Belgique, qui se situe du côté des États les plus riches. Et pas avec des gens issus de la classe moyenne, des personnes qui ont grandi dans le quartier et d’autres qui viennent de très loin, des hommes, des femmes, des étudiant.es, des retraité.es, des artistes, des commerçant.es, des enfants même, mandatés par leurs parents pour venir chercher de quoi manger.
Nous savons que dans ces files, certaines personnes éprouvent un sentiment de honte : honte de ne pas pouvoir subvenir elles-mêmes à leurs propres besoins ; honte de devoir compter sur la solidarité d’autrui pour survivre. Une honte qui s’accompagne du sentiment de perdre sa dignité.
Disons-le clairement : la honte doit changer de camp.
La misère n’est pas une fatalité. Elle ne repose pas sur la responsabilité personnelle de certains ou certaines qui seraient prétendument incapables de se débrouiller pour gagner de quoi vivre décemment. Elle n’est pas le fruit d’un hasard qui frapperait les plus malchanceux, à cause d’une crise sanitaire imprévisible. Elle est au contraire le résultat totalement prévisible d’une politique d’inspiration néo-libérale qui, depuis de longues années, fait tout pour mettre l’État au service des puissances d’argent.
Cette politique …
• qui s’attaque aux chômeurs et chômeuses en les culpabilisant de ne pas trouver d’emploi pour mieux réduire leurs allocations;
• qui élabore sans cesse de nouvelles dérogations au droit du travail au détriment des salarié.es;
• qui contraint les hôpitaux aujourd’hui, les écoles prochainement, à devenir des entreprises rentables, quel qu’en soit le prix à payer pour les malades et le personnel soignant;
• qui conduit la plupart des vieilles et des vieux à finir leurs jours dans des maisons de retraite dépourvues de moyens et de personnel en suffisance;
• qui ne voit dans la culture qu’une industrie de divertissement, au détriment des formes et des pratiques visant à l’épanouissement et à l’émancipation;
• qui, refusant de régulariser les personnes sans-papiers, nourrit le marché du travail au noir et précipite la baisse des salaires;
• qui fait de l’humain une variable d’ajustement au service d’une économie de plus en plus orientée au seul bénéfice des plus nantis;
cette politique-là est une honte.
Nous sommes de plus en plus nombreux/euses à nous organiser pour ne plus devoir en subir la violence. Répétons-le : le monde que l’on nous propose est invivable, au sens propre comme au sens figuré. C’est la raison pour laquelle il n’est plus question de laisser l’avenir commun dans les mains de ceux qui ne se soucient que du leur.
Les Actrices et Acteurs des Temps Présents