
Éphémère pour toujours ?
Plusieurs collectifs bruxellois ont répondu ce samedi 17 mai 2025 à l’invitation du DK pour la troisième édition de la « Dkommune » sur un thème aux résonances existentielles : « Éphémère pour toujours ? ». En préalable à la réunion, les organisateur·ices avaient déplié la thématique par le biais de diverses questions : Qu’est-ce qui nous pousse à nous inscrire dans un collectif ? Comment faire collectif ? Quelle énergie met-on dans le maintien d’un collectif qui dysfonctionnel ? Comment perdurer ? Tel quel ? A la manière d’un essaim qui se détache pour se développer en autonomie ? Comment accepter, voire fêter la fin d’un collectif… ?
Se sont réunis ce jour-là pour réfléchir à ces questions des représentantes et représentants de collectifs qui trouvent au DK un point d’appui (8 mars, Zone Neutre…), d’autres qui disposent de leur propre lieu (le Nova, ZonneKlopper, La Clef, le Steki…), d’autres personnes encore qui ne font plus partie aujourd’hui d’aucun groupe mais ont généreusement accepté de participer à l’échange de pratiques et d’expériences que nous proposions.
Un lieu pour durer
La question du lieu faisait pleinement partie des discussions. Les vastes bâtiments réaffectés que ZonneKlopper occupe à Forest, en principe jusqu’à l’année prochaine, accueillent des résident·es de longue durée et des personnes pour qui le séjour en Belgique n’est qu’une courte étape de leur parcours migratoire. Collectif d’occupation temporaire, la Clef regroupe aujourd’hui une douzaine de personnes dans un même immeuble à Schaerbeek. De squat en squat, d’installations précaires en avis d’expulsion, Zone Neutre fédère des dizaines de personnes sans papier, parfois accompagnées de leurs enfants, qui cherchent un endroit où se poser. En revanche, d’autres lieux comme le cinéma Nova, le Steki ou le DK lui-même ne sont pas destinés à l’hébergement. La cherté des loyers, le souci d’échapper à la spéculation immobilière sont néanmoins pour tous des enjeux politiques importants, liés parfois aux possibilités mêmes de survie du collectif.
L’exemple du Nova est emblématique à cet égard. Le collectifexiste depuis 28 ans. Il n’étaitconstitué audépart que de deux personnes qui faisaient de la diffusion de films dans différents lieux, à Bruxelles et ailleurs. Une troisième les a rejoints. Le trio cherchait un lieu où se poser, facilement accessible près du centre. Plusieurs ancienne salles étaient désaffectées. Iels ont trouvé le Nova, qu’ils ont rouvert très rapidement après deux mois de travaux, en entraînant dans leur projet une série de sympathisant·es. Le propriétaire leur a d’abord accordé un bail d’un an, qui a été renouvelé pour deux années supplémentaires puis pour des périodes plus longues. Mais en 2024, le dernier bail touchait à sa fin. Le Nova risquait de devoir quitter les lieux prochainement ou d’avoir à payer un loyer exorbitant au lieu des 10.000 euros par an qu’il payait jusque là. Une campagne de levée de fonds a été menée pour pouvoir financer, au prix d’environ 800 000 euros et via la création d’une coopérative, un bail emphytéotique de 68 ans, qui lui permettra de rester jusque 2092.
Le ZonneKlopper, quant à lui, a mis en place différentes activités (No Javel : colis alimentaires, réparations de vélos…) mais aussi de l’hébergement (résident·es en Belgique et sans-papiers transmigrants). Ces lieux d’occupation ont changé au fil des années, les groupes également, mais une certaine culture s’est instituée au bout du compte. La pratique des squats a fait tache d’huile. Mais la donne de l’immobilier a fortement évolué. Les vides à occuper sont de plus en plus rares. Les politiques publiques ont également changé. Des activistes allemand·es l’avaient pressenti et ont acheté leurs squats selon de nouveaux modes de propriété pour les soustraire au marché. Un modèle suivi à Liège par le Kali et le Cercle du Laveu, récemment rachetés par une fondation financée par l’apport de très nombreuses personnes.
Horizontalité / Verticalité
Lors des échanges, il est apparu qu’en dépit de leurs différences, les collectifs se posent souvent les mêmes questions à propos de leur organisation, entre volonté d’éviter la verticalité et difficultés de pratiquer une organisation horizontale qui ne soit pas trop dévoreuse de temps et d’énergie.
Au départ des collectifs, il y a souvent un petit groupe, un noyau qui se réunit pour réaliser un projet et qui s’élargit progressivement. C’est le cas du collectif féministe 8 mars qui compte un noyau dur de cinq ou six personnes et un réseau actif d’une cinquantaine d’autres.
Si la répartition initiale des responsabilités, pouvoirs et légitimités reste ancrée dans le collectif élargi, ce noyau de départ peut constituer un frein dans l’implication des nouvelles personnes, au détriment des énergies créatives, bouillonnantes et multiples qu’elles pourraient insuffler.
Certains besoins impliquent que le groupe délègue des responsabilités à l’un de ses membres. mais il est souvent difficile de rencontrer un niveau de formalisation qui permette de sortir des ancrages du groupe affinitaire à l’amorce du collectif. Cette formalisation est pourtant une étape cruciale pour permettre l’inclusion de nouvelles personnes au sein du collectif ou du lieu. Penser l’horizontalité comme la verticalité inhérentes à l’histoire et aux héritages des collectifs et des lieux permet d’acter la réalité des différences de responsabilités et de pouvoir entre les membres d’un collectif ou d’un lieu. Il y a un intérêt à apprendre de l’éphémère pour penser la durabilité : les nouveautés obligent à repenser l’existant, à recommencer, transformer ce qui s’est instauré ou figé.
Garder trace
Les discussions étaient trop foisonnantes pour que tout puisse être rapporté ici. Entre l’éphémère et l’éternel s’est posée la question de la mémoire. Chaque collectif qui se lance représente une aventure nouvelle et se développe dans un contexte qui lui est propre. Mais les problèmes qu’il rencontre en se déployant font souvent écho à ce qui a été vécu précédemment par d’autres. Les mêmes questions reviennent dans tous les collectifs et tous les lieux. La tentation est grande d’y apporter des réponses définitives et tout-terrain. Or, il est toujours nécessaire de les reposer, de les confronter aux caractéristiques propres de chaque moment politique, lieu, collectif. Un des participants rappelait que les questions que nous avons soulevées dans nos échanges ont fait l’objet d’un livre dont on peut encore s’inspirer : Micropolitique des groupes. Pour une écologie des pratiques collectives. Pour son auteur, David Vercauteren, « la question n’est plus : quelle est la finalité d’un groupe, son objet ou son domaine d’intervention ? mais : quel est son impensé ? comment peut-il développer une « culture des précédents », une mémoire des réussites et des échecs passés, tout en maintenant intacte l’envie d’expérimenter et de produire des formes inédites ? » On peut télécharger ici l’introduction de cet essai.
Et, au terme de cette après-midi d’échanges, on s’accorde pour dire qu’il est important de faire déborder les expérimentations éphémères de leur temps d’existence au travers de traces écrites, et orales, pour nous permettre collectivement d’écrire l’histoire de nos solidarités, de nos désirs, de nos combats.