Sébastien Gratoir, Actrices et Acteurs des Temps Présents
Extrait de Pays dans un pays. Un manifeste, p 5.
Les débats, lorsqu’il est possible de les appeler comme tels, exacerbent souvent les stéréotypes des « pro-5G » ou « anti-5G ». D’une part, la focale sanitaire est la plupart du temps mise au premier plan alors qu’elle est, selon moi, la plus complexe et sans doute celle sur laquelle les « expertises » sont les plus opposées et laissent souvent chacun.e se faire un avis avec trop peu de repères. Comment refuser la 5G lorsqu’on a un micro-onde ou un téléphone sans fil chez soi ? L’un est-il plus dangereux que l’autre ? Je préfère ne pas rentrer dans cette bataille « scientifique », n’ayant pas les compétences suffisantes même si je doute personnellement de la complète inocuité de ces anciennes et nouvelles ondes de télécommunication. De plus, cette approche me paraît souvent trop individualiste, centrée sur la protection de son propre corps, en comparaison à d’autres critiques plus globales et politiques défendant les biens communs. D’autre part, il ne s’agit pas d’être juste pro ou anti-5G. On présente cette 5ème génération comme une grande évolution, soit bénéfique, soit catastrophique. Je me permettrai ici d’avancer des arguments assez critiques sur cette technologie mais qui montrent surtout une continuité entre celle-ci et les anciennes générations 2G, 3G, 4G de smartphones, d’ondes… La logique consistant à créer un besoin quasiment inexistant reste la même. Seulement… les conséquences empirent. Elles me semblent avant tout sociétales, sociales, énergétiques, environnementales, sécuritaires (au sens de la protection de notre vie privée) et démocratiques.
La création et l’usage d’une technologie n’est pas neutre, on le sait. Je suis contre une technologie irréfléchie au service d’une économie néolibérale, imposée sans débat démocratique et public. Certaines conséquences sont connues. D’autres demeurent peu claires. Quoi qu’il en soit, en cas d’inconnues trop nombreuses, un principe de précaution doit être respecté et ici, il ne l’est pas. De grands questionnements étaient déjà présents avant la 5G. Ils persistent et ne rassurent pas vu l’emballement « logique » (du point de vue de certains industriels et politiques) vers la 6G, déjà. De manière factuelle, la 5G, c’est passer des ondes centimétriques aux ondes millimétriques, d’un flux de quelques mégabits ou dizaines de mégabits par seconde à près d’1 gigabit (proche de la performance de la fibre optique). Ce sont des antennes plus petites, plus proches et avec un rayonnement plein restreint. Et sinon ?
Les répercussions énergétiques et environnementales
Au-delà des questionnements en termes d’impact sur le vivant, cette technologie sera très énergivore alors que nous sommes face à des énormes enjeux climatiques et de réduction de notre consommation énergétique. Ces questions étaient déjà problématiques pour les anciennes générations de smartphones. Il y a aujourd’hui plus de smartphones et d’objets connectés que d’humains sur terre alors que « seule » la moitié de ceux-ci les utilise. Le secteur du numérique au sens large produit plus de 4% des émissions de gaz à effet de serre sur notre planète, a participé ces dernières années à hauteur de 3% de la consommation énergétique mondiale et 15% de l’électricité mondiale. Autant de chiffres qui donnent le tournis lorsque l’on sait que les projections prévoient que la 5G sera encore plus gourmande en consommant, par exemple, trois plus d’électricité que l’actuelle 4G. Ceci est confirmé par les créateurs de la 5G eux-mêmes.(2) Pendant ce temps-là… 15%, c’est aussi l’estimation de la proportion de la population mondiale qui n’a pas accès à l’électricité sur notre chère Terre.
La part la plus énergivore vient de la production de ces objets connectés (80 à 90% de l’impact énergétique). L’extraction de métaux (qui risque de doubler avec la 5G) et métaux rares (lithium, germanium, tungstène…) doit-elle encore être contextualisée ? Cela se passe avant tout dans des pays où les droits environnementaux et humains sont largement bafoués (Congo, Chine…) et où les conflits miniers (Pérou, Équateur…) ont des conséquences sociales désastreuses. Les volumes colossaux de roche extraits, les combustibles fossiles nécessaires pour cette extraction, la grande quantité de produits chimiques utilisés et souvent déversés sur place sans prise en compte des dangers sans oublier l’eau nécessaire pour la fabrication sont disproportionnés par rapport à ce petit joujou de télécommunication qu’est le produit final. Destruction de nombreux espaces naturels et catastrophes sociales dans ces pays pour utiliser, du côté « occidental », ces puces, connecteurs et connexions.
Les autres parts énergivores ne sont pas négligeables pour autant. L’énergie nécessaire pour le fonctionnement des infrastructures, des data centers et des terminaux (ordinateurs, smartphones et objets connectés) ne cesse d’augmenter. Il faut savoir que plus la mobilité est grande (entre ligne fixe, wifi et 3G, 4G, 5G…), plus elle est gourmande. Par exemple, la 3G demande trois fois plus d’énergie que le wifi, la 4G, vingt-trois fois. Cela pose cette question de la nécessité ou non de la mobilité à tout prix, nous y reviendrons. Le stockage des données conservées à outrance avec ou sans notre consentement est également de plus en plus grand et… énergivore. Enfin, la pollution numérique n’est pas à oublier car il s’agit d’objets qui tiennent peu longtemps, fabriqués selon une logique d’obsolescence programmée bien connue (entre 1 an et 3 ans d’utilisation le plus souvent), vite dépassés (ce qui est voulu par les industriels, poussant à des achats adaptés aux nouvelles ondes 5G, 6G) et avec un recyclage difficile voire impossible. Seuls 5% des smartphones seraient recyclés dans le pays d’utilisation. Ils sont dans la grande majorité des cas (r)envoyés vers d’autres pays, parfois recyclés mais se retrouvent le plus souvent dans des décharges à ciel ouvert… Pollution des sols, des eaux, de l’air, conséquences sur les populations, pas besoin de vous faire un dessin.
De manière plus précise sur la 5G (qui ne remplacera pas la 4G, 3G… mais s’y ajoute), ses équipements et sites devront se démultiplier par rapport à ceux des anciennes générations, avec une consommation énergétique qui va de pair. Au niveau environnemental encore plus largement, bien que les antennes 5G soient plus petites et proches les unes des autres, elles requièrent néanmoins toujours l’utilisation des satellites. Ceux-ci constituent une pollution céleste, tant visuelle qu’en termes de déchets tout simplement. Il y a clairement une volonté de couvrir la totalité de la Belgique, de l’Europe, grands espaces naturels compris. Pas de zone blanche sous couvert de lutte contre la fracture numérique. C’est aussi ça la pollution numérique : on ne nous laisse plus le choix de ne pas être « couvert ».
Le discours sécuritaire et la protection de nos données
Même certaines personnalités politiques l’assument enfin : la 5G va jouer un grand rôle dans la gestion des données des citoyen.nes. Les antennes auraient des portées réduites, c’est-à-dire en proximité immédiate avec les humains, leurs données et leurs objets connectés (voitures, montres, mobilier urbain, caméras de surveillance…). Où sommes-nous, que faisons-nous, pendant combien de temps et avec qui ? Il s’agissait d’un enjeu économique et commercial déjà bien présent avec la 3G et 4G mais la question est d’autant plus politique avec la 5G puisqu’elle aura davantage de conséquences sur nos actions quotidiennes, y compris militantes. Mona Keijzer, secrétaire d’État aux Affaires économiques et au Climat aux Pays-Bas, parle ouvertement dans une intervention de l’utilisation de la 5G dans un but de contrôle des foules lors des grands rassemblements.(3) Elle et d’autres y voient de « nouvelles opportunités », avançant l’habituel argument de la concurrence avec les autres pays qui développeraient déjà cette technologie. Rappelons aussi que d’un point de vue militaire, c’est de manière totalement assumée que l’OTAN exige la 5G sur Bruxelles pour son « fonctionnement ». Cela en dit long…
Est-il vraiment nécessaire de développer ma pensée autour de cette non-protection des données et de l’utilisation de ces informations sur nos positions et déplacements ? Dois-je préparer une contre-argumentation pour celles et ceux qui avanceraient que cela nous protège du terrorisme et contribue à la sécurité de l’espace public ? Savoir en direct qui se trouvait à la dernière manifestation d’Extinction Rebellion (qui fut considéré comme groupe terroriste par la police britannique) ou si une personne est assise sur un banc public connecté (d’autant plus si elle est couchée en pleine nuit), est-ce une opportunité ? Est-ce véritablement utile ? Ou est-ce juste une infraction à nos droits les plus fondamentaux ? Je vous laisse le loisir d’appréhender la disproportion entre ces soi-disant besoins et les conséquences sur nos libertés (expression, circulation, rassemblements…).
Il s’agit là, pour moi, de la question principale à se poser… Les deuxièmes, troisièmes, quatrièmes générations de smartphone permettaient des flux d’informations croissants rendant possible par exemple de télécharger en peu de temps et regarder un film n’importe où. Est-ce un besoin ou du superflu ? Pouvions-nous vivre sans ? Peut-on maintenant s’en passer ? A quels nouveaux « besoins », les 5G et 6G pourraient encore répondre ? « Recevoir » un film sur son smartphone en 2 ou 3 secondes… Ici encore, des industriels et politiques créent un besoin qui n’existe pas. Ce n’est pas nouveau et s’inscrit dans la continuité des précédentes générations. Certes cela va augmenter la vitesse de téléchargement, le débit des communications et des connexions mais, à mon sens, ce « besoin » ne légitime en rien les conséquences citées précédemment. Ce n’est pas un choix, mais une dépendance construite, une course sans fin au « plus confortable ». Plus il y a de débit, moins il y a d’attente, plus on aura « envie » de consommer tout le temps, partout, en grande quantité et… on sera de plus en plus exigeant.
L’exemple médical, comme la télémédecine, est souvent mis en avant. Cette technologie serait une révolution en termes de vitesse de partage d’informations et d’opération à distance. C’est séduisant, on « aide » la santé. S’agit-il d’un besoin urgent et crucial face au contexte environnemental actuel ? Ma réponse est non. Mettons cet argent dans un hôpital de proximité plutôt que connecter un médecin à son patient à plusieurs kilomètres de lui. La voiture autonome, la maison connectée, la télémédecine… sont des « opportunités », des leurres pour justifier une course sans fin industrielle et économique. Ces faux « conforts » rendus possibles par la 5G et la 6G, ne sont « utiles » qu’à une petite partie de la population, celle qui est privilégiée et certains industriels. Les autres ? Soit elles.ils n’y ont pas accès sans dommage, soit elles.ils en subissent les conséquences proportionnellement plus négatives que positives. Au-delà des impacts environnementaux expliqués plus haut, comment voir du positif dans la dépendance créée auprès des familles les plus précarisées, où il ne serait pas « fun » pour le plus jeune d’avoir le dernier smartphone, au risque d’être la risée, de ne pas pouvoir télécharger vite et partout, comme les autres ? (y compris pour des devoirs à l’école) La part de ces achats (téléphone, abonnement, réparation, gadget, application…) dans le panier des personnes consommatrices augmente sans cesse. On leur impose un éternel changement de matériel de réception des communications, toujours plus coûteux. Dans quelle société veut-on vivre ? Une « smart city », une ville intelligente mais irréfléchie collectivement creusant encore plus les inégalités sociales ?
Sous la pression des lobbyings industriels, des accords flous et critiquables européens ont imposé aux Etats membres qu’une ville par pays « teste » la 5G en 2020 en vue d’un déploiement plus large en 2025. « Tester » ? Doit-on rire ou pleurer ? Les enjeux économiques et politiques sont tels qu’on ne peut imaginer qu’il s’agisse d’évaluer si cela convient ou non à la population. Bruxelles a été « choisie ». Le fait qu’Huawei, le deuxième constructeur de smartphones dans le monde, va installer son centre de sécurité européen dans la capitale n’est pas un hasard. La capitale fut par ailleurs au cœur des discussions de partage des ondes par les opérateurs bruxellois. Cette technologie 5G devance les études d’impact, les lois et le principe de précaution. Le législatif et exécutif belge et bruxellois essaie de rattraper le retard mais pour finalement dérouler un tapis rouge à la 5G avec peu d’écoute des citoyen.nes.
Lorsque Proximus a annoncé l’arrivée de la 5G dans plusieurs communes belges, des conseils communaux et populations se sont insurgés. Il était temps. Mais voyons au-delà de notre petit jardin. Il s’agit dès aujourd’hui de marcher dans toutes les rues, champs et forêts où elle risque d’arriver, de repérer les antennes actuelles ou futures, de s’informer sur elles et les conséquences, sur nos consommations et de mettre la pression nécessaire sur les « élu.es » de nos villages et villes. Refuser ces antennes en empêchant par tous les moyens possibles leur venue. Résister à ce que l’on nous impose sous nos fenêtres comme dans nos manières de communiquer. Proposer, rester ou revenir à d’autres formes hors de l’hyperconnexion, avec un questionnement global sur l’utilisation de ces technologies et ses conséquences en termes d’inégalités sociales et de biens communs. Que ce soit pour des raisons sanitaires, environnementales, énergétiques, sociétales, sociales, de protection de nos données ou démocratiques, assumons que nous avons un choix à faire. C’est faire « Pays dans un Pays », faire une autre proposition, la nôtre.
(Res)sources :
www.kairospresse.be/article/hors-serie-sur-la-5g/
(1) Allusion inversée à l’appel de Faire Front et des Actrices & Acteurs des Temps Présents pour le 1er septembre 2020 : « Rentrer ? Nulle part ! Sortir partout. »
(2) Des régions en Chine, utilisant déjà la 5G, doivent couper la 5G la nuit tant elle est énergivore… ce qui en déçoit certain.es.
(3) https://youtu.be/IJCkr9bdJRA
Vidéo réalisée par les Actrices et Acteurs des Temps Présents sur la 5G